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II |
LE GUIGNON |
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Au-dessus du bétail ahuri des humains Bondissaient en clartés les sauvages crinières Des mendieurs d'azur le pied dans nos chemins. |
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Un noir vent sur leur marche éployé pour bannières La flagellait de froid tel jusque dans la chair, Qu'il y creusait aussi d'irritables ornières. |
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Toujours avec l'espoir de rencontrer la mer, Ils voyageaient sans pain, sans bâtons et sans urnes, Mordant au citron d'or de l'idéal amer. |
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La plupart râla dans les défilés nocturnes, S'enivrant du bonheur de voir couler son sang, Ô Mort le seul baiser aux bouches taciturnes ! |
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Leur défaite, c'est par un ange très puissant Debout à l'horizon dans le nu de son glaive Une pourpre se caille au sein reconnaissant. |
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Ils tètent la douleur comme ils tétaient le rêve Et quand ils vont rythmant des pleurs voluptueux Le peuple s'agenouille et leur mère se lève. |
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Ceux-là sont consolés, sûrs et majestueux ; Mais traînent à leurs pas cent frères qu'on bafoue, Dérisoires martyrs de hasards tortueux. |
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Le sel pareil des pleurs ronge leur douce joue, Ils mangent de la cendre avec le même amour, Mais vulgaire ou bouffon le destin qui les roue. |
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Ils pouvaient exciter aussi comme un tambour La servile pitié des races à voix ternes, Égaux de Prométhée à qui manque un vautour ! |
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Non, vils et fréquentant les déserts sans citerne, Ils courent sous le fouet d'un monarque rageur, Le Guignon, dont le rire inouï les prosterne. |
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Amants, il saute en croupe à trois, le partageur ! Puis le torrent franchi, vous plonge en une mare Et laisse un bloc boueux du blanc couple nageur. |
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Grâce à lui, si l'un souffle à son buccin bizarre, Des enfants nous tordront en un rire obstiné Qui, le poing à leur cul, singeront sa fanfare. |
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Grâce à lui, si l'une orne à point un sein fané Par une rose qui nubile le rallume, De la bave luira sur son bouquet damné. |
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Et ce squelette nain, coiffé d'un feutre à plume Et botté, dont l'aisselle a pour poils vrais des vers, Est pour eux l'infini de la vaste amertume. |
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Vexés ne vont-ils pas provoquer le pervers, Leur rapière grinçant suit le rayon de lune Qui neige en sa carcasse et qui passe au travers. |
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Désolés sans l'orgueil qui sacre l'infortune, Et tristes de venger leurs os de coups de bec, Ils convoitent la haine, au lieu de la rancune. |
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Ils sont l'amusement des racleurs de rebec, Des marmots, des putains et de la vieille engeance Des loqueteux dansant quand le broc est à sec. |
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Les poëtes bons pour l'aumône ou la vengeance, Ne connaissant le mal de ces dieux effacés, Les disent ennuyeux et sans intelligence. |
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« Ils peuvent fuir ayant de chaque exploit assez, Comme un vierge cheval écume de tempête Plutôt que de partir en galops cuirassés. |
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« Nous soûlerons d'encens le vainqueur dans la fête : Mais eux, pourquoi n'endosser pas, ces baladins, D'écarlate haillon hurlant que l'on s'arrête ! » |
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Quand en face tous leur ont craché les dédains, Nuls et la barbe à mots bas priant le tonnerre, Ces héros excédés de malaises badins |
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Vont ridiculement se pendre au réverbère. |